Manger indonésien - suite
Suite de ma chronique sur la cuisine en Indonésie
Tout repas est aussi un rite social. En Indonésie, manger s’effectue selon son rang. La façon moderne du midi est comme partout ailleurs, et surtout en Asie, les petites échoppes ambulantes. Ces « kakis limas » qui signifient « cinq jambes » (2 du bonhomme, 3 de l’engin) servent soupes et riz maintenus au chaud sur des braises. La cuisine padang est populaire, un peu plus stable puisque vous êtes assis, sorte de fast-food indonésien où l'on vous présente une quantité de petits plats épicés sans que vous ne demandiez rien, mais vous ne payez que ce que vous avez consommé. La façon traditionnelle de manger des Javanais et Balinais est « waroeng ». Ce terme désigne des huttes coutumières au village, lieu de rencontre des habitants pour manger et discuter. La tradition remonte à plusieurs siècles, au royaume hindou des Majapahit qui gouvernait Java. Elle a été introduite à Bali en 1525 lors de leur exil. De nos jours, on mange « à la waroeng » dans les restaurants, devant de grandes tables flanquées de bancs. Les gens s’y retrouvent pour discuter devant un copieux repas et cela dure un certain temps. La façon coloniale un peu chic célèbre 12 plats, portés par 12 serveurs différents, selon le rite du Grand Rijstaffel. C’est ainsi que les Hollandais ont interprété la cuisine balinaise, « rijsttafel » signifiant en leur langue "table de riz". Il s'agit de légumes, de viande, de poisson, d'oeufs, de volaille faisant la ronde autour d'une montagne de riz, agrémentée de beignets de crevettes frites en guise de pain croquant, de bananes, de piment, de cacahuètes et de concombre mariné. Il y a encore la façon religieuse, le Wantilan, nom du lieu où l’on se rassemble après les cérémonies. Les gens y partagent un repas assis à même le sol, comme nous l’avons vu avant le jeu des buffles aux Célèbes. Sur la table le riz jaune à base de curcuma est présenté sous forme de cône dont la hauteur donne l’importance de la caste de l’hôte.
Chaque après-midi, avant le coucher du soleil, le thé devient un rituel. L’usage en vient de Chine et les Anglais l’ont adopté, tout comme les marchands arabes. Thé vert, thé au jasmin, thé au gingembre, thé au chrysanthème, le breuvage est servi avec de petits gâteaux « jajan pasar », des fruits confits, des coulis ou des salades de fruits exotiques. Le « teh panas » est le thé chaud, « manis » veut dire sucré, « pahit » ou « tawar », sans sucre. Le « dingin » est le thé glacé.
Les marques de bière les plus connues sont Anker et Bintang, brassées localement. On peut trouver de la Heineken (hollandaise), San Miguel (sous licence philippine) et de la Guinness pour les nostalgiques de la brumeuse Eirin. La bière de riz, appelé « brem », est soit de fabrication maison (pas terrible), soit commercialisé sous la marque Bali Brem. Le palais et surtout les intestins doivent s'y habituer... Les vins n'ont rien à voir avec les nôtres, sauf à y mettre le prix. Le rosé est un peu sucré mais se pique rapidement. Le blanc est plus sec, meilleur au goût mais plus difficile à trouver. L'eau n'est pas potable pour nos petits estomacs fragiles, elle doit être bouillie avant consommation. Inutile de demander, les Indonésiens la font tout juste réchauffer. A moins d’exiger « medidih duapuluh menit » dans le texte, (ce qui veut dire à peu près « de l'eau bouillie pendant 20 mn », il vaut mieux sacrifier à l’usage de l'eau minérale, qui se trouve très facilement et partout dans le pays. La plupart est d’ailleurs de marque « Danone », la multinationale « stratégique » qui doit rester dans des mains françaises, ce qui serait « vital » pour notre patriotisme, dit-on. Les touristes ne doivent pas ajouter de glaçons : ils sont faits d’eau du robinet.
Eviter aussi le lassi, une boisson d'origine indienne à base de yaourt liquide. C’est très bon mais très dangereux, les laitages ayant tendance à attirer toutes ces bêtes microscopiques qui nous en veulent. Le café (kopi) est, comme souvent dans les pays producteurs, pas bon. Soit il est lyophilisé et se sert en poudre, soit il est moulu et infuse directement dans la tasse. Comme l’eau n’est jamais assez chaude, les particules flottent en surface. Il faut acheter sa propre cafetière pour faire du « vrai » café selon les rites ; Charlie y est passé maître. Les jus de fruits frais font fureur, surtout à Djodjakarta et à Bali. Passés au mixeur, ils gardent toute leur saveur et leur fraîcheur garanti leur innocuité… à condition d’exiger « sans glaçons » ! En revanche les boissons colorées des marchés, dont les Indonésiens sont friands pour leur taux de sucre et leurs couleurs fluorescentes, ont un « goût anglais » peu aimable à nos palais : comme les bonbons acidulés, elles sont purement chimiques, ne contenant aucune trace d’un quelconque « fruit ».